Skip to main content

Données, pouvoir, jeunesse : gouverner l’IA avant qu’elle ne nous gouverne

AI governance

par René Edouard Mendis

L’intelligence artificielle (IA) transforme nos sociétés en profondeur. Discrète mais puissante, cette révolution numérique redessine les façons de gouverner, de s’informer, de décider. Selon le Government AI Readiness Index 2024, plus de 50 pays évaluent déjà leur niveau de préparation à l’IA pour en faire un levier de développement.

Mais l’IA n’est pas neutre. Elle cristallise aujourd’hui une bataille géopolitique entre puissances (États-Unis, Chine, Union Européenne) et géants technologiques (OpenAI, Meta, DeepMind), chacun tentant d’imposer ses normes. L’Afrique ne peut rester spectatrice. Elle doit construire sa propre voie : une gouvernance numérique alignée sur ses réalités sociales, culturelles, et portée par sa jeunesse.

Les mégadonnées au service de la démocratie

Les mégadonnées — ces volumes massifs d’informations générés chaque jour — peuvent améliorer les politiques publiques, renforcer la redevabilité et rapprocher les citoyens des institutions. Bien exploitées, elles aident à mieux capter les attentes citoyennes, ajuster les décisions et anticiper les défis sociaux. Des initiatives en Afrique montrent déjà la voie. À l’échelle continentale, l’Union Africaine (UA) a posé un jalon essentiel avec l’adoption de sa Stratégie sur l’intelligence artificielle en Afrique, visant à encadrer le développement et l’usage de l’IA selon des principes d’éthique, de transparence et d’inclusion. Sur le plan sous-régional, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté en 2024 une Stratégie régionale de développement numérique et lancé des projets tels que WURI (West Africa Unique Identification for Regional Integration and Inclusion) et WARDIP (West Africa Regional Digital Integration Project), visant à renforcer la coopération en matière de cybersécurité, d’e-gouvernance et d’accès aux services numériques. Au Sénégal, le New deal technologique, le centre de données de Diamniadio et le plan de digitalisation des services administratifs illustrent une ambition croissante en matière de souveraineté numérique.

Gouvernées de manière éthique, ces données peuvent devenir un levier d’inclusion, notamment pour les jeunes générations. Mal encadrée, l’IA peut devenir un levier d’exclusion. Une recherche du MIT Media Lab (Buolamwini & Gebru, 2018) a par exemple révélé que certains systèmes de reconnaissance faciale affichaient un taux d’erreur de 34 % pour les femmes à la peau foncée, contre moins de 1 % pour les hommes blancs. Ces biais algorithmiques sont loin d’être anecdotiques. Pour les jeunes Africain·e·s, les risques sont amplifiés : manque de transparence des outils publics, faible accès à l’éducation numérique, absence de cadre juridique pour protéger leurs droits en ligne. Résultat : une asymétrie de pouvoir entre ceux qui conçoivent les technologies et ceux qui en subissent les effets.

Gouverner l’IA autrement : quatre leviers à activer

Pour une IA réellement démocratique, quatre priorités s’imposent :

  1. Construire des cadres éthiques et adaptés localement : des lois et institutions doivent encadrer l’usage de l’IA tout en garantissant les droits numériques, la transparence et des voies de recours.
  2. Outiller les jeunes pour qu’ils deviennent acteurs critiques : l’éducation aux données, à l’éthique technologique et aux droits numériques doit être intégrée dans les programmes scolaires. Cela permettrait d’éveiller une conscience citoyenne numérique chez les jeunes générations.
  3. Intégrer les jeunes dans les instances de décision : pour bâtir une gouvernance numérique réellement inclusive, il faut aller au-delà de la consultation symbolique. Les jeunes doivent être intégrés dans les espaces de décision, avec un pouvoir réel d’influence. Renforcer le pouvoir d’agir des jeunes dans la gouvernance numérique passe aussi par le soutien à des initiatives structurantes comme Youth in AI, AfricTivistes, Polaris Asso ou encore le Smart Africa. Ces réseaux outillent les jeunes pour qu’ils participent activement à la définition des politiques technologiques et doivent être mieux reconnus et intégrés aux processus décisionnels.
  4. Promouvoir une culture de souveraineté numérique : encourager la production locale de données, les innovations africaines, et l’interopérabilité technologique est essentiel pour réduire la dépendance aux modèles importés.

Par conséquent, l’IA reflète nos choix de société. Pour qu’elle serve l’intérêt général, la jeunesse africaine doit en être co-architecte, pas simple usager. Le débat sur l’IA n’est pas un débat sur les machines, mais sur le monde que nous voulons construire — un monde fondé sur l’éthique, la transparence et la participation.

René Edouard Mendis